Au rythme où vont les choses, on pourrait bientôt comparer la Maison du Jazz à un certain village d’irréductibles Gaulois qui résistent à l’envahisseur. Le trait est forcé, mais jugez plutôt d’un mouvement en cours où, de vague en vague, le débordement de l’intelligence artificielle survient de toute part dans le milieu musical.
Connaissez-vous Xania Monet? Nous non plus. Et personne en définitive, car il s’agit d’une créature générée par l’IA, ce qui n’a pas empêché la signature récente d’un contrat de 3 millions de dollars avec le label Hallwood Media. Derrière cette fausse chanteuse et ce vrai fantôme se trouve Telisha «Nikki» Jones, qui a écrit les textes et s’en est remise pour le «reste» (voix, instruments, mixage, production, vidéos) à la plateforme Suno. Sur YouTube, le compte créé en juillet 2025 affiche déjà 26 vidéos et 101.000 abonnés.
Début septembre, via le magazine Billboard, la Confédération internationale des éditeurs de musique (ICMP) qui représente l’ensemble des majors du disque et plusieurs milliers de labels indépendants a communiqué publiquement les résultats d’une enquête menée durant plusieurs années. Preuves à l’appui, il en ressort qu’entre autres géants du numérique, DeepSeek, Google, Meta, Microsoft, OpenAI et X se sont servis illégalement de millions de titres protégés par le droit d’auteur pour entraîner leurs outils d’intelligence artificielle générative. Un siphon-typhon qui a aspiré musiques, mais aussi paroles, photos et pochettes et qui constitue le plus grand vol de propriété intellectuelle de l’histoire.
Et on est déjà largement passé de l'apprentissage à la pratique. Deezer a révélé que 28% de la musique ajoutée sur sa plateforme est générée par de l'IA. Spotify vient d’annoncer que 75 millions de morceaux indésirables ont été retirés en 2024. Sur YouTube abondent les vidéos où, tout en bas de la description, il est indiqué que le son ou les images ont été modifiés de manière significative ou générés numériquement. Tapotez par exemple — retenez votre respiration —Tranquil Autumn Vibes - Street Coffee Truck & Warm Jazz Music for Studying, Working and Comfort pour situer la «chose». Il n’est plus question de musique, mais de flux sonore, et de profit évidemment.
Dans ce monde d’artifices, la Maison du Jazz s’obstine à cultiver le naturel, avec la créativité et l’improvisation au faîte. Outre nos activités hebdomadaires récurrentes, novembre vous propose la première session du nouveau cycle Master Clash au Marni. Nathalie Loriers a choisi d’aborder l’œuvre de Keith Jarrett, musicien ô combien singulier. Le concert Jazz&More réunira un trio inédit avec Maritsa Ney, Nicolas Fourré et Siavash Yazdanifar, soit une formule instrumentale particulièrement originale et une ode à la diversité des genres. Et la soirée vidéo sera consacrée à Charlie Mingus, géant novateur et inventeur du jazz workshop. De quoi balayer les illusions technologiques comme des feuilles mortes.
JO