INTERVIEW réalisée par Olivier Sauveur le 13 février 2019.
Homme de rêves, de sentiments et d’ambitions, tu as toujours voyagé entre 2 mondes, le Brésil de ta jeunesse et la Belgique, le théâtre et la musique, le jazz et la chanson. Est-ce l’envie de diversité et d’avoir la liberté de toucher à tout ou est-ce plutôt le besoin de ne pas choisir?
Je crois que c’est le choix de la jouissance, c’est toujours comme cela que je fonctionne, je vais vers ce qui m’apporte le plus de plaisir. Je ne fais pas spécialement de la chanson pour toucher un public plus large, ni par prostitution. Dans le jazz, j’étais face à un souci de communication et je ne me sentais plus en phase avec ici et maintenant, je voulais vivre le moment présent et pouvoir communiquer en direct. C’est comme pour le théâtre, cela me permet de raconter une histoire comprise dans l’immédiat, alors que le jazz actuel est plus abstrait et qu’il nécessite certains codes pour être perçu. J’avais besoin de parler à d’autres personnes qu’aux « happy few » qui comprennent le jazz. Le jazz d’autrefois était moins codifié car les musiciens partaient de standards, on pouvait trouver dix versions différentes de son interprète préféré. Maintenant nous sommes dans une totale diversification où chaque musicien a son propre style, les codes deviennent de plus en plus ou de moins en moins codés, soit il faut avoir les codes de chaque musique, soit avoir un grand code et une ouverture universelle, c’est peut-être vers là que nous allons.
Par exemple, avec mon nouveau trio My Way avec Quentin Liégeois et Cédric Raymond, je voulais aller vers la décroissance et me servir du matériau commun pour être dans le contraire de l’interprète compositeur en restant dans la définition simple de l’interprète. Être sur le terrain commun de l’ inconscient collectif, pouvoir chanter Il venait d’avoir dix-huit an de Dalida ou My Way de Sinatra et qu’à la deuxième note tous le monde soit dans cet inconscient collectif et là, l’interprétation prend tout son sens. Pour moi, si l’on a une personnalité d’interprète singulière, plus une composition singulière, on est dans une singularité totale dans laquelle on perd les gens. La musique c’est un peu comme mon père me disait avec beaucoup de justesse, si on effaçait les limites d’un terrain lors d’un match de football et que l’on donnait un ballon à chacun, chaque joueur partirait avec son ballon dans toutes les directions et ce serait chaotique, ce ne serait marrant que cinq minutes !
Si tu devais choisir entre le jazz et la chanson belgo-brésilienne ?
Mon choix est fait, je suis porté par le jazz vocal, par la chanson et par l’histoire qu’elle raconte. C’est ce que j’aime avec le jazz américain, les musiciens connaissent les paroles de tous les standards qu’ils jouent, ce qui les intéresse c’est l’histoire qu’il y a derrière ces standards et ils choisissent celle qui leur correspond le plus. Me concernant, mon interprétation de pourvu qu’elles soient douces de Mylène Farmer était plus subversif, j’ai choisi le titre qui était le plus éloigné de moi, j’aurais pu reprendre du Henry Salvador qui me ressemblerais plus, mais ma singularité allait plus ressortir avec un titre qui n’a rien avoir avec moi. Après la chanson belgo-brésilienne, j’écris maintenant des titres qui n’ont plus rien à voir, mon leitmotive c’est la chanson à travers le théâtre, le jazz et les standards à travers la chanson française, c’est compliqué de composer en français car c’est une langue de la rhétorique, il ne faut pas qu’elle soit explicative ni didactique, il faut que ça groove et tout le monde ne s’appelle pas Serge Gainsbourg.
Peux-tu nous parler de ton nouvel espace de création ?
Quand j’étais plus jeune, je rêvais d’avoir une sorte de laboratoire, j’ai toujours cherché des appartements avec un atelier pour m’exercer et à Bruxelles, c’était déjà impayable et il y faisait froid en hiver. Lorsque je suis venu jouer au JP’s, j’ai vu que le bâtiment voisin était à vendre, un ancien cinéma qui s’appelait Le Rio, je me suis alors dit voilà où est mon destin. Cet espace étant beaucoup trop grand pour moi, nous avons créé l’asbl WOOHA qui propose un endroit de production et de répétition pour inviter des musiciens en tournée et y faire des expériences. Il y a 2 salles, une pour des ateliers quotidiens et une salle d’expérimentation qui sont gérées par l’asbl, c’est un parcours du combattant car il faut jongler avec les subsides et je rédige toute cette paperasserie après journée. J’aimerai que cet endroit vive toute l’année, que ce MOM (Making of music, Ministry of music) aie un côté bienveillant en encadrant les artistes, qu’il devienne un véritable outil de création et avoir la possibilité d’en ressortir avec de la musique et de la vidéo. Concernant la programmation, je désire avoir la souplesse et la spontanéité d’organiser des concerts sur l’instant en profitant du passage d’un artiste. Parallèlement à ce nouveau projet, j’écris les chansons de mon prochain disque et j’enregistre au mois de mai un autre disque avec Steve, Houben & Son qui sortira chez Igloo début 2020.
A l’aube de tes vingt années musicales, quel bilan tires-tu et vers où aimerais-tu aller ?
Je suis assez gourmand et je viens d’avoir 40 ans, je fais ma crise de la quarantaine, quand je vois un musicien comme Jean-Paul Estiévenart, je suis envieux, il l’est peut-être aussi me concernant pour la chanson ou le théâtre, mais Jean-Paul est entré dans la trompette comme on rentre en religion et tout son être résonne trompette, c’est beau et je trouve ça fantastique. Moi je suis un touche à tout, j’ai encore envie de découvrir, peut-être faire du cinéma si l’occasion se présente ou de la cuisine, tant que ça touche à la création !