“La vie d'un club de jazz n'est pas un long fleuve tranquille: c'est tantôt un torrent, tantôt une course d'obstacle vers des lendemains qui ne chantent pas toujours. Ceux qui s'y lancent doivent avoir — outre le sens de l'orientation et le pied ferme — le goût du risque, une vocation d'enfer, et une bonne dose d'inconscience. Car, ils s'en apercevront trop tard, le torrent ne devient jamais lac, fleuve tranquille ou rivière. S'il s'apaise, c'est que tout va à vau-l'eau. Et sans une vigilance de tous les instants, c'est le naufrage.
Mais le risque ne vaut-il pas la peine d'être couru? Pour la musique? Pour les moments privilégiés et les bonheurs qu'elle apporte? La musique qui "entraîne dans une étreinte furieuse nos sens et les sons" selon l'écrivain surréaliste égyptien Georges Henein. Moments intenses de plaisir, d'exaltation et de joies. Moments uniques qui ne se répéteront pas, car, ici, tout est "dans l'éclat éblouissant de l'instant", comme l'a écrit un autre amateur de jazz, Jean-Paul Sartre. C'est pourquoi le jazz ne se conçoit que vivant, en club de préférence, où il s'exprime le mieux, dans un contact direct entre orchestre et public.”
Voilà ce qu’écrivait Michel Contat dans une chronique consacrée au club parisien le New Morning, parue dans Télérama. Une opinion que nous partageons sans réserve. Les clubs composent, pour une partie non négligeable, l'imaginaire du jazz. Y compris pour
notre petit pays, même si les premiers véritables clubs y apparurent seulement dans les années 50 alors qu’on a pu entendre du jazz dans toutes sortes d’endroits en Belgique dès les années 20.
Aujourd’hui, les jazz(wo)men préfèrent souvent les salles de concert qui, a priori, proposent des conditions de jeu plus confortables, offrent un meilleur cachet et asseyent une réputation. Lieu de création, de répétition et d’expérimentation, le club demeure pourtant un maillon indispensable à la vie de cette musique. Un maillon particulier et sans égal aussi, notamment dans le rapport privilégié qu’il institue avec le public ou par le fait d’occuper parfois des lieux insolites, du fenil de la Madelonne à Gouvy à la gare de la bien nommée Jazz Station à Saint-Josse en passant évidemment par une certaine pharmacie qui abrite aujourd’hui le Jacques Pelzer Jazz Club au Thier à Liège.
Tous ces clubs représentent un patrimoine qui, pour une part, fout le camp parce que les responsables de ces lieux ne sont pas éternels et, pour une autre part, n’existe tout simplement pas. En une vingtaine d’années d’existence du Travers et du Lion S’Envoile, grosso modo de 1980 à 2000, on compte un seul disque live capté rue Traversière et aucun rue Roture! Il existe certes des enregistrements privés, qui portent bien leurs noms, et des bootlegs plutôt rares. Nous est donc venue l’idée de perpétuer l’apport incontestable qu’ont généré et génèrent encore ces clubs, que ce soit à l’égard des artistes comme du public. Elle a pris la forme d’une série de podcasts intitulée “Bienvenue au club!” que la Maison du Jazz réalise en collaboration avec Musiq3 Jazz et la plateforme jazz de la RTBF.
Le lancement a eu lieu symboliquement le 30 avril dernier lors de la Journée internationale du jazz. L’épisode initial a rassemblé les témoignages d’une douzaine de musiciens s’étant produits dans les clubs des années 50, 60 et 70 dont les noms résonnent encore (Rose Noire, Birdland, Blue Note, Pol’s Jazz Club, Brussels Jazz Club…).
Depuis mai, le dernier jour du mois voit la mise en ligne d’un nouvel épisode centré sur un seul club, wallon ou bruxellois, passé ou actuel, que racontent leurs fondateurs et programmateurs. Les podcasts sont accessibles sur Auvio et le resteront durant plusieurs années. Notez que la série n’est pas près de s’arrêter, le programme nous mènera jusque fin 2024!
auvio.rtbf.be/emission/bienvenue-au-club-25056
Les années récentes démontrent encore et toujours que la vie de ces clubs n’épouse pas le cours d’un long fleuve tranquille. Lancé en 2015 à Verviers avec beaucoup d’espoirs, le Métronome a fermé ses portes deux ans après par la faute d’une gestion douteuse et la réouverture annoncée n’eut jamais lieu. A Dinant, l’association D’jazz, aux manettes du festival, présentait en 2021 les esquisses d’un projet de club à ouvrir en 2022. Nous sommes en 2023 et Jean-Claude Laloux et son équipe ont enfin pu confirmer le début des travaux de rénovation du bâtiment au printemps dernier. On ne parle pas encore d’une date arrêtée pour l’ouverture.
Plus préoccupante est la situation du Sounds à Ixelles, relancé avec une nouvelle équipe à l’automne 2021 après une cessation d’activités au début de la crise sanitaire puis le rachat de l’immeuble. Depuis quelques mois, un appel à l’aide financière s’est fait pressant. A la recherche de 50.000 euros, dans l’attente d’une éventuelle subvention en 2024, la cagnotte a permis d’engranger la moitié de la somme. A la rentrée en septembre, le club ouvrira ses portes, c’est ce qu’assure Joachim Caffonnette, pianiste, ancien président des Lundis d’Hortense et gérant principal de l’endroit, dans un post publié sur facebook à la mi-juillet. Mais sans garantie sur le moyen terme. La bonne adresse pour soutenir ce club est la suivante:
www.sounds.brussels/jazz-concert/help-us
Il reste une dernière chose, plaisante celle-là, à vous annoncer. La couverture de ce Hot House et les illustrations de cet article évoquent les clubs et si nous avons choisi des dessins, c’est une manière de vous révéler qu’en 2024, la Maison du Jazz proposera une exposition sur le thème “Jazz & BD”. Et même deux! Il y en aura une à l’ESA Saint-Luc à Liège au mois d’avril et une autre, sensiblement différente, au Centre Belge de la Bande Dessinée à Bruxelles durant l’été. Deux points communs: elles se concentreront sur les artistes belges contemporains ou résidant en Belgique et un focus sur l'oeuvre de Louis Joos y sera présenté. A suivre!
JO